Dans un article publié aujourd’hui dans la revue Nature, la collaboration BASE au CERN annonce la comparaison la plus précise jamais effectuée entre les protons et les antiprotons (équivalents des protons dans l’antimatière).
Après avoir analysé les résultats de mesures effectuées sur le proton et l'antiproton pendant un an et demi auprès de l'usine d’antimatière du CERN, installation unique au monde, la collaboration BASE a mesuré avec une précision inégalée les rapports entre la charge électrique et la masse (rapport charge sur masse) pour le proton et l'antiproton. Les résultats montrent que ces rapports sont identiques pour le proton et l'antiproton dans les limites d'une incertitude expérimentale de 16 millionièmes de millionièmes.
« Ce résultat représente le test direct le plus précis d'une symétrie fondamentale entre matière et antimatière réalisé avec des baryons ̶ particules composées de trois quarks ̶ et leurs antiparticules », a déclaré Stefan Ulmer, porte-parole de l'expérience BASE.
Selon le Modèle standard, la théorie des particules et de leurs interactions la plus solide à ce jour, les particules de matière et d'antimatière peuvent différer, par exemple dans la manière dont elles se transforment en d'autres particules, mais la plupart de leurs propriétés, y compris leur masse, doivent être identiques. Le moindre écart constaté entre la masse du proton et celle de l'antiproton, ou entre les rapports charge sur masse, briserait une symétrie fondamentale du Modèle standard, appelée symétrie CPT, et pourrait indiquer la présence de nouveaux phénomènes de physique au-delà du Modèle standard.
Un tel écart pourrait aussi donner un nouvel éclairage sur la raison pour laquelle l’Univers est entièrement constitué de matière, alors que matière et antimatière doivent avoir été produites en quantités égales lors du Big Bang. Les différences entre les particules de matière et d'antimatière, qui sont cohérentes avec le Modèle standard, sont trop faibles pour expliquer ce déséquilibre cosmique observé.
Pour réaliser ces mesures concernant le proton et l'antiproton, la collaboration BASE a confiné, dans un piège de particules très performant appelé piège de Penning, les antiprotons et les ions d'hydrogène négatifs[1], qui sont les particules négatives remplaçant les protons dans cette expérience. Dans ce dispositif, une particule suit une trajectoire cyclique avec une fréquence proche de la fréquence cyclotron, qui est proportionnelle à l'intensité du champ magnétique du piège et au rapport charge sur masse de la particule.
Après avoir alimenté le piège tour à tour en antiprotons et en ions d'hydrogène négatifs, l'équipe a mesuré, dans les mêmes conditions, les fréquences cyclotron de ces deux types de particules, et a ainsi pu comparer leurs rapports charge sur masse respectifs.
Réalisées au cours de quatre campagnes menées entre décembre 2017 et mai 2019, ces mesures ont permis d'établir plus de 24 000 comparaisons de fréquences cyclotron, chacune d'une durée de 260 secondes, entre les rapports charge sur masse des antiprotons et ceux des ions d'hydrogène négatifs. À partir de ces comparaisons, et après avoir pris en compte la différence existant entre un proton et un ion d'hydrogène négatif, la collaboration BASE a constaté que les rapports charge sur masse des protons et des antiprotons sont identiques, dans les limites d'une incertitude expérimentale de 16 millionièmes de millionièmes.
« Ce résultat est quatre fois plus précis que la meilleure comparaison effectuée précédemment entre ces rapports. Le rapport charge sur masse est désormais la propriété de l'antiproton mesurée avec la plus grande précision, explique Stefan Ulmer. Pour atteindre cette précision, nous avons apporté à l'expérience des améliorations considérables et réalisé les mesures lorsque l'usine d'antimatière était à l'arrêt, en utilisant notre réservoir d'antiprotons, où les antiprotons peuvent être stockés pendant des années. » L’intérêt de mesurer la fréquence cyclotron lorsque l'usine d'antimatière est à l’arrêt est que les mesures ne sont pas affectées par les perturbations subies par le champ magnétique de l'expérience.
Ces mesures de la collaboration BASE, outre qu’elles sont d’une précision inédite, ont permis de fixer des limites strictes aux modèles au-delà du Modèle standard qui violent la symétrie CPT, et de mettre à l'épreuve une loi de physique fondamentale connue sous le nom de « principe d'équivalence faible ».
Selon ce principe, tous les corps subissant le même champ gravitationnel sont accélérés de la même façon en l'absence de forces de frottement. L'expérience BASE étant placée à la surface de la Terre, les mesures de la fréquence cyclotron des protons et des antiprotons ont été réalisées dans le champ gravitationnel présent à la surface de la Terre. Toute différence entre l'interaction gravitationnelle des protons et celle des antiprotons se traduirait par un écart entre la fréquence cyclotron des protons et celle des antiprotons.
En échantillonnant le champ gravitationnel variable de la Terre, suivant la position de la planète autour du Soleil, les scientifiques de l'expérience BASE n'ont trouvé aucun écart et ont fixé une valeur maximum de trois centièmes à cette mesure différentielle.
« Cette limite est comparable à la précision initialement visée par les expériences étudiant la chute de l'antihydrogène dans le champ gravitationnel de la Terre, ajoute Stefan Ulmer. L'expérience BASE n'étudie pas directement la chute de l'antimatière dans le champ gravitationnel de la Terre, mais notre mesure de l'influence de la gravité sur une particule d'antimatière baryonique est très similaire sur le plan conceptuel, et elle ne fait apparaître aucune anomalie dans l’interaction entre l'antimatière et la gravité au niveau d'incertitude atteint. »
Vidéos :
Vidéo sur l'expérience BASE : https://videos.cern.ch/record/2289533
Vidéo sur l'usine d'antimatière : https://videos.cern.ch/record/2312142
Photos :
Expérience BASE : https://cds.cern.ch/record/ 2748765
Piège de Penning de l'expérience BASE : https://cds.cern.ch/record/2748764
[1]Atome d'hydrogène qui a capturé un électron supplémentaire.