Jusqu’à présent, le kilogramme était défini comme la masse du prototype international du kilogramme (IPK), un cylindre en platine iridié conservé à Paris, en France. Alors que toutes les autres unités de base du Système international d’unités (SI) – mètre, seconde, ampère, kelvin, candela et mole – avaient été redéfinies au fil des ans en fonction de constantes fondamentales de la nature ou de propriétés atomiques, le kilogramme était depuis la fin du XIXe siècle la seule unité définie par un objet artificiel.
Ce ne sera plus le cas, et ce changement constitue un événement important pour les métrologues, c’est-à-dire les spécialistes des mesures. En effet, à l’occasion de la Journée mondiale de la métrologie, qui commémore la signature de la Convention du Mètre en 1875, le kilogramme a reçu une nouvelle définition. Désormais, il sera défini à partir de la constante de Planck, mesurée avec une précision sans précédent. Cette constante peut être exprimée en unités de base du SI : kilogramme, mètre et seconde. Étant donné que ces deux dernières unités sont déjà définies par des constantes de la nature, la valeur d’un kilogramme peut être à présent également déterminée sans l’aide d’un objet physique de référence.
Il aura fallu cependant des dizaines d’années de travail à des équipes internationales du monde entier pour mesurer la constante de Planck avec un niveau de précision suffisamment élevé - au dix-milliardième - une entreprise dans laquelle le CERN a joué un petit rôle.
En 1975, le physicien britannique Bryan Kibble proposait un appareil, connu à l’époque sous le nom de balance du watt mais rebaptisé depuis en son honneur balance de Kibble, qui permettait de mesurer avec précision la constante de Planck sur la base de l’IPK. Une fois le niveau de précision nécessaire atteint, il devenait possible de fixer la valeur de la constante de Planck, et, dans un mouvement inverse, de définir le kilogramme en fonction de cette constante, ce qui permettait d’affranchir le kilogramme de toute référence à l’IPK. Plusieurs balances de Kibble ont été construites dans le monde pour comparer les mesures, dont une en Suisse. L’Institut fédéral de métrologie (METAS) travaille depuis près de vingt ans sur sa propre balance de Kibble, sous la direction d’Ali Eichenberger et Henri Baumann. Connaissant le savoir-faire du CERN dans le domaine des systèmes d’aimants, les deux chercheurs ont fait appel au Laboratoire pour que celui-ci les aide à construire les aimants requis.
« Je suis très fier d’avoir participé à cette aventure, explique Davide Tommasini, du groupe Aimants, supraconducteurs et cryostats, qui a personnellement contribué au projet. Je ne sais pas si la redéfinition du kilogramme aura un impact direct sur les expériences menées au CERN, mais l’expérience nous a appris que, souvent, les nouvelles avancées ne révèlent pas d’emblée tout leur potentiel ».
En 2018, une balance de Kibble au Canada a produit une mesure de la constante de Planck d’une extrême précision, ce qui, en combinant ce résultat avec un ensemble de mesures établies dans le monde, a permis de fixer la valeur de la constante. Mais cela a-t-il eu une incidence sur la valeur du kilogramme proprement dit ? Pas vraiment. « La constante de Plank a été fixée à 6,626070150 × 10−34 kg⋅m2/s, l’IPK étant pris comme référence, explique Ali Eichenberger. À partir de maintenant le kilogramme ne changera plus. Quant à l’IPK, il pourra changer au fil du temps, mais quoi qu’il en soit tout étalonnage d’une masse sera effectué avec une incertitude de l’ordre de 20 milliardièmes. »
Ainsi, même si la nouvelle définition du kilogramme est un événement historique qui mérite d’être célébré, nul besoin de ré-étalonner votre pèse-personne dans l’immédiat !